Relation de la bataille de Breitenfeld, selon "Le Soldat Suédois"
(Battle of Breitenfeld according to "The Swedish Intelligencer")
"Le
Roy de Suède partagea son armée en trois gros, logés séparément, mais en sorte
qu’ils pussent s’entre-seconder au besoin, sans délai. Le Roy prit quartier à
Werben, Horn maréchal de camp à Brandebourg, et le colonel Todt à Ratenau, pour
assurer la rivière de Havel.
Il
arriva aussi un renfort nouveau de 4000 suédois, avec un grand attirail de
canons de nouvelle invention, à Wolgast, qui furent commandés de joindre les
troupes du marquis de Hamilton, la ville et le château de Crossen furent mis en
cendre en même temps par des incendiaires, subornés par les Impérialistes, sans
que les suédois en pussent sauver autre chose que les munitions de guerre qui y
étaient en abondance.
Or
le comte de Furstenberg s’était campé ès environs de Fulda, après avoir
gourmandé la Souabe, grossi ses troupes des levées d’autrui, et réduit ce
Cercle, aussi bien que celui de Franconie à renoncer au résultat de Leipzig. Ce
qui servit non seulement à abaisser les forces des protestants, mais aussi à
enfler les siennes. En quoi qu’il fût sur le point de se jeter dans le pays de
Hesse pour lui faire porter l’endosse de sa conjonction avec la Suède, ayant
reçu autre ordre, il s’achemina en diligence vers le comté de Henneberg, et de
là vint joindre Tilly avec 41 cornettes de cavalerie et 35 compagnies
d’infanterie.
Ce
renfort étant arrivé au camp, et nouvelles de l’approche d’Aldringer, et de
celle de Tieffenbach du côté de la Lusace, Tilly jugea qu’il ne fallait plus
marchander avec l’électeur de Saxe, le tenant comme cerné de tous côtés, et se
croyant en état de lui faire ses restes, il envoya le prélat de Metternich, et
le baron de Schoenbourg vers l’Electeur de Saxe, le somme de se déclarer, demande
conjonction d’armes contre la Suède, et quartier pour ses troupes, montrer
qu’il n’était plus question de barguigner, vu qu’il avait ordre de se faire
obéir, là où on manquerait de volonté et d’effet, de servir SM Impériale. Mais
l’Electeur voyant sa réputation engagée à maintenir les conclusions d’un corps
dont il avait été le chef, renvoya les députés avec beaucoup de protestes, et
peu de satisfaction pour des gens qui ne se payaient pas, ni de ses services
passés, ni de ses plaintes, croyant avoir l’occasion et le moyen en main pour
le ranger à raison. C’est pourquoi Tilly se résout de passer outre sans délai,
pour l’achever devant qu’il put passer à une conjonction actuelle avec la
Suède, et donne le rendez-vous de ses troupes à Hall, se résout de se jeter
dans la Saxe, et de forcer l’Electeur à le recevoir. Et en effet il attaque et
emporte Moersbourg d’abord, ravage le plat pays, entre dans Zeitz, où la
soldatesque de Tilly fut si insolente que d’y géhenner les conseillers de
l’Electeur, leur corder le front, et serrer d’un rouet d’arquebuse les pouces
de son chancelier, pour en tirer quintessence désirée. Et nonobstant toutes les
plaintes et protestations de l’Electeur, et sa retraite vers Torgau, Tilly ne
laisse pas de suivre son dessein et sa pointe, de s’emparer de Naumbourg, de
Weissenfels, et de Quedlinbourg. De là il s’achemine à Leipzig, demande vires,
fourrage, contribution, menace de la venir quérir lui-même en cas de refus. En
effet y arrive le 3 septembre avec une armée de 40 000 hommes. L’Electeur
de Saxe surpris rallie le plus promptement qu’il peut à Torgau les troupes
qu’il avait levées sous les ducs d’Altenbourg, les colonels Bindtauf,
Schwalbach, Taube, Vitzthumb, et autres, y joint celles du pays, et fait un
gros de 24 000 hommes, envoie Anheim en diligence vers le Roy de Suède,
qui était alors campé près de Wittenberg, lui fait entendre l’entreprise de
l’ennemi, et son état, et le prie de venir au secours de Leipzig, ville grande
et riche, mais peu aguerrie, et peu fortifiée.
Le Roy
répond d’abord froidement à Arnheim, qui était marri du désastre de son maître,
mais que rien ne lui était arrivé qu’il ne lui eût prédit ci-devant, que s’il
en eût cru en temps, que Magdebourg ne serait pas en cendres, ni ses états en
danger. De quoi qu’il eut fait dessein d’employer ses troupes ailleurs, que
néanmoins il était prêt de venir au secours de l’Electeur moyennant, 1. Que
Wittenberg lui fut donné pour sa retraite. 2. Que le fils aîné de l’Electeur le
vint servir en son armée. 3. Qu’on lui payât le solde de trois mois de ses
troupes. 4. Qu’on lui livrât les traitres que l’Electeur avait en son Conseil,
ou que lui-même leur fît procès. 5. Que l’Electeur entrât avec lui en une ligue
étroite, et défensive, et offensive.
L’Electeur
averti par Arnheim des demandes du Roy de Suède, le renvoie en diligence sans
marchander, avec ordre de lui dire, 1. Que non seulement Wittenberg, mais tout
l’Electorat lui serait ouvert pour sa retraite. 2. Que non seulement le Prince
son fils, mais, lui-même se rendrait en son armée. 3. Qu’il donnerait une paie
présentement à ses troupes, et assurance pour deux autres. 4. Que les traitres
lui fussent indiqués, et qu’il en ferait une punition exemplaire. 5. Qu’il
emploierait, et ses états, et sa vie pour la cause commune. Qu’il n’avait pas
pu croire ci-devant qu’il dût être traité de la façon par les Impérialistes, et
qu’il mesurerait l’obligation qu’il aurait au Roy de ce secours au besoin,
qu’il en avait présentement.
Le
Roy ayant vu la franchise de l’Electeur, lui fait voir la sienne au réciproque,
lui mande qu’il avait eu sujet de se défier de lui par le passé, et de lui
demander beaucoup d’assurances pour l’avenir, parce qu’il avait marchandé si
longtemps : mais qu’à présent, voyant qu’il allait rondement en besogne,
et prenait des résolutions généreuses, qu’il ne lui demandait aucun des points
susdits, se contentant qu’il s’employât vigoureusement pour la cause commune,
toutefois en cas qu’il voulût donner une paye à son armée, qu’il espérait
qu’elle la lui regagnerait bien tôt. Ensuite le Roy s’achemine à Wittenberg, y
amène l’Electeur de Brandebourg, s’y abouche avec celui de Saxe, tous trois
traitent et s’accordent ensemble, et comme on a voulu dire, conviennent
secrètement des promesses de mariage, entre le fils de l’Electeur et la fille
du Roy de Suède, s’obligent même par serment les uns aux autres en la place
publique de Wittenberg, d’employer leurs états, et leurs vies pour la cause
commune.
Pendant
ces entrefaites Tilly investit Leipzig, la somme de se rendre, offre des
conditions avantageuses. Il reçoit pour réponse, qu’on n’ose le recevoir sans
le su et la permission de son Altesse Electorale, et qu’on ne pouvait croire,
qu’il voulut faire acte d’hostilité aux sujets d’un Prince si méritant envers
Sa Majesté Impériale.
Au
bout de trois heures les députés sont renvoyés par Tilly, la ville sommée
derechef, en cas de refus menacée d’une entière désolation. Ceux de Leipzig lui
déclarent, que puisqu’ils ne se pouvaient exempter de violence par prières,
qu’on avait ordre de Son Altesse de le faire par une courageuse défense. Là
dessus la ville est alarmée, le feu mis aux faubourgs, le canon en batterie,
quelques volées sont envoyées sur les troupes les plus avancées de l’ennemi, et
un boulet même est si hardi, que d’enlever quelqu’un au côté de Tilly. Qui
irrité, fait ses approches en diligence, fait pointer et jouer son artillerie,
fait jeter la nuit suivante nombre de grenades dans la ville pour l’embraser.
Mais ayant été rendues inutiles par la diligence des assiégés, il avance ses
galeries et ses gabbionades toute la nuit, si fort, qu’il se met hors de la
mire du canon des assiégés, et en état de n’en être plus offensé.
Le
lendemain il tonne furieusement sur la ville pour faire peur aux assiégés, les
somme derechef en même temps de se rendre, leur mande que la porte de grâce
était encore ouverte, et les menace du traitement de Magdebourg, et de toutes
extrémités imaginables, en cas qu’ils s’opiniâtrassent davantage, et lui firent
perdre du temps.
Les
menaces de l’ennemi jointes à ses efforts, intimident les habitants peu
aguerris. Ils se résolvent de traiter, la garnison s’y accorde. On envoie des
députés au camp de Tilly. Pappenheim les reçoit, leur remontre d’abord leur
témérité, le peu de moyen qu’ils avaient de se maintenir, et proteste qu’il ne
leur fallait que la nuit suivante pour les achever, et mettre leur ville en
cendres. Tilly leur promet la conservation de leurs privilèges, la liberté de
leurs consciences, demande quatre tonnes d’or, qui montent à la valeur de deux
cent mille écus pour le pillage, offre de n’y loger qu’une garnison fort
médiocre, et à celle de l’Electeur la liberté de sortir armés et bagues sauves.
Ces
propositions étant ouïes en la ville, qui se jugeait être hors d’espérance d’un
prompt secours (Tilly ayant fait pendre trois messagers envoyés par l’Electeur
pour en porter les nouvelles aux assiégés, et faisant garder soigneusement
toutes les avenues à l’entour), les assiégés acceptent les conditions,
présentent les clefs à Tilly, qui y fait son entrée le sixième (6 septembre),
fait convoyer la garnison de sept cornettes de cavalerie, avec commission de
découvrir la posture de l’Electeur, lequel ayant joint son armée à celle de
Suède le quatrième septembre près de Dieben, l’une et l’autre commencèrent à
marcher au secours de Leipzig. Les suédois prirent la main droite, les saxons
la gauche, en intention de vider le différent par une bataille, avant
qu’Aldringer et Tieffenbach pussent joindre l’ennemi, qui venaient à grandes
traites pour être de la partie. Tilly averti de cette approche, sort sans délai
de Leipzig, après y avoir donné ordre à tout, et laissé le commandement au
colonel Wrangler, et sur la place, et sur trois mille hommes de garnison, se
rend en son camp, le munit de trois batteries, et de divers retranchements,
pour ne pouvoir être forcé au combat, s’il n’y voyait son avantage. Car
plusieurs d’entre les chefs étaient d’avis de garder ce poste jusqu’à la venue
de Tieffenbach et celle d’Aldringer, et d’épier en lieu avantageux la
contenance de l’ennemi. Mais l’opinion, que les Suédois et les Saxons ne les
oseraient ni attendre, ni affronter, prévalut, et Tilly commença à faire filer
son avant-garde vers Breitenfeld, suivie de la bataille composée de ces bandes
victorieuses, qui avaient fait trembler jusque lors toute l’Allemagne. Et pour
n’être pas surpris du Roy de Suède, Tilly débande quelques compagnies pour
reconnaître sa démarche, et les suit au petit pas pour gagner le haut, et le
vent qui tirait d’occident, et fait planter son canon en lieu favorable. Tilly
étant en cette posture, et menant la bataille, ayant le comte de Pappenheim à
sa gauche, et celui de Furstenberg à sa droite, fait mettre le feu dans
Podelwitz par où les Suédois devaient venir, pour leur en faire boire la fumée.
Le
Roy nonobstant tout cela ne laisse pas de s’avancer, quoi qu’il eût à passer
encore un mauvais pas à la barbe de l’ennemi, et voyant qu’il était en état et
posture de combattre, et qu’il fallait qu’une bataille vidât leur différent, et
servit de crise pour l’avenir, il s’y résout sans délai, met ses troupes en
ordre, prend la droite lui-même, donne la conduite de la bataille à Teuffel, la
gauche à Horn maréchal de camp, Baner eut charge de soutenir la corne droite,
Hall la gauche, Hebron la bataille.
L’armée
étant ainsi rangée, et quelques régiments logés en un poste avantageux pour une
troupe de réserve, le Roy donne le mot Dieu
avec nous (comme celui des ennemis était Jesus Maria), met le genou en terre, fait sa prière avec dévotion,
encourage ses gens, et par ses paroles, et par sa contenance gaie, et assuré,
leur dit en peu de mots,
Qu’il avait passé deux cents lieues de pays
pour voir cette journée. Qu’il s’assurait et sur leurs exploits passés, et sur
leur contenance présente, que l’aspect lui en serait favorable, et désastreux à
ses ennemis. Que les batailles étaient des Arrêts de Dieu. Que peu d’heures feraient
voir celui de sa cause, et seraient décisoires d’un différent de beaucoup
d’années. Qu’il allait frotter joyeusement une couronne royale, et deux bonnets
électoraux contre la carcasse d’un vieil corporal, et disputer avec lui non
seulement la gloire d’une bataille, mais aussi toutes les conquêtes et
usurpations de ses maîtres. Que ceux qui le seconderaient avec courage,
trouveraient l’honneur et la récompense de leur valeur à la pointe de leurs
épées, et à l’abri de leurs drapeaux.
Ces
paroles prononcées avec un visage gai, et un esprit présent, par un Prince
capable de se faire aimer aux plus barbares, mirent cœur au ventre si avant aux
Suédois, qu’ils ne respirèrent que le moment de charger l’ennemi.
L’Electeur
de Saxe cependant tira à gauche vers Seehaufen, suivi des ducs d’Altenbourg ses
cousins, et d’une armée fraîche, et bien parée. Tilly voyant approcher ces deux
armées vers l’heure de midi, les salue de quelques canonnades. Le Roy lui
répond. Cette musique dure deux heures avant la mêlée, et nombre de gens sont
mis bas des deux côtés.
Les
escarmouches s’attachent par compagnies, le combat suit par régiments.
L’artillerie joue et fait jour de part et d’autre. Le Roy voyant l’aile gauche
incommodée du canon de l’ennemi, lui fait changer de poste, et la contourne si
bien, qu’il gagne la moitié du vent. Pappenheim qui menait la fleur de la
cavalerie de Tilly, fait la pointe, attaque le Roy, et veut enfoncer l’aile
droite, pour avoir l’avantage du vent. Mais il est reçu vertement par les
arquebusiers débandés parmi la cavalerie royale, et contraint de changer de
front, et de tirer à gauche. Ayant tâché de prendre le Roy à dos de ce côté-là,
il rencontre les régiments commandés de soutenir l’aile droite, qui firent
ferme, et le rompirent derechef après un combat disputé, et opiniâtre
longtemps.
Tilly
cependant fait avancer la bataille, en laquelle étaient ses vieux régiments
accoutumés de vaincre, loge son infanterie au milieu, couvre ses flancs de
cavalerie, et descend du coteau. Mais se voyant incommodé du canon suédois, et
les premiers rangs emportés, il change de poste, et se contente de découpler
une partie de sa cavalerie, pour entretenir l’aile gauche du Roy, lui-même
donne de toutes ses forces dans l’armée de Saxe, commande l’aile droite de le
seconder, heurte et perce divers escadrons de cavalerie. Deux ducs de Saxe
Altenbourg sont portés par terre à la première charge, mais remontés par l’aide
des leurs. La cavalerie étant rompue, plusieurs régiments d’infanterie lâchent
pied. Il n’y eut que ceux d’Arnheim, de Beindtauff, de Taub et de Vitzthum, qui
firent devoir quelques temps. Mais à la longue ils succombèrent ; l’ennemi
les mena battant, et les porta à une telle confusion, que perdant, et leur
poste, et leur jugement, sans discerner plus, ni amis, ni ennemis, ils firent
boire leur escopeterie à leurs propres compagnons, et tournèrent finalement le
dos aux Impérialistes, jetant bas les armes, et enfilant à grands pas le chemin
d’Eilenbourg, nom omineux, et qui s’y rencontra véritable pour eux.
Cette
déroute des Saxons enfla fort le courage aux Impérialistes, et leur fit croire
que la bataille était gagnée ; de sorte que rompant leurs rangs et leurs
ordres, ils se mirent, les uns à galoper les fuyards, les autres à piller les
chariots des Saxons, et braquer leur canon contre l’armée suédoise.
En
même temps les régiments de Schoenberg, de Cronberg, et de Baumgarten prennent
le reste des troupes de Saxe à dos, et commencent à les charcuter à plaisir.
Mais
le bonheur voulut que les colonels Hebron et Hall commandés de soutenir les
Saxons, s’avancèrent au galop, et chargèrent les Impérialistes bien à propos,
enfonçant leurs bataillons, et donnant moyen aux Saxons de reprendre haleine,
et se mettre en ordre derechef ; de sorte que ceux-ci tournant tête, les
Impérialistes se virent investis et chamaillés de tous côtés, et maniés si
rudement des Suédois et des Saxons tout ensemble, qu’ils laissèrent, et leurs
vies, et leurs dépouilles aux victorieux. Steinach colonel Saxon, pris
auparavant avec quatre de ses cornettes, pris alors son avantage, perça ses gardes,
et eut encore sa part du combat.
Pendant
cette mêlée, le Roy pousse vers le bois, ayant à ses étriers des troupes
d’élite, jette à droite et à gauche nombre d’arquebusiers, pour donner aux
flancs et le seconder. Lui même affronte la tête avec une vigueur admirable,
jette la poussière dans les bataillons de Tilly, et leur trouble la vue. Et
nonobstant que l’ennemi fit ferme, et diverses charges, la présence et l’œil du
Roy obligèrent ses gens de donner tête baissée ; de sorte que divers
escadrons ennemis couverts de feu et de sang commencèrent à branler, et peu
après à tourner l’échine, hormis les régiments de Balderon, de Dietrichstein,
de Gois, de Blankart, et de Chesuis, qui se rallièrent, gagnèrent la bordure
d’un bois avantageux, et tournèrent tête pour réparer l’honneur de leurs
compagnons. En effet c’est où la victoire fut disputée opiniâtrement, et sembla
balancer longtemps, les Suédois ayant à faire à ces vieilles bandes de Tilly,
qui n’avaient pas accoutumé de lâcher pied, et qui savaient non seulement
garder leurs ordres, et tenir ferme, mais aussi se rallier promptement, et
faire front partout. On y vit nombre de vieux soldats combattre de genoux, les
jambes rompues, et ne quitter leur poste qu’avec la vie. La cavalerie et
infanterie du Roy firent un devoir incroyable, résolus de vaincre, ou de mourir
en la peine, chargeant l’ennemi, avec quelques salves, à coups d’épée,
s’engageant dans les piques, et se mêlant si avant, qu’ils étonnèrent et
ébranlèrent par une valeur extraordinaire, ceux qui n’avaient pas accoutumé de
l’être. Tilly n’oublia rien pour rallier ses troupes. Pappenheim et Furstenberg
de même tournèrent tête à diverses fois, recoignant les Suédois, remettant les
leurs, et rendant la victoire douteuse. Mais ils trouvèrent de si rudes
joueurs, qu’ils laissèrent une grande partie des leurs sur les carreaux, et le
champ de bataille aux troupes royales. Et ce qui servit principalement à mettre
l’ennemi en désordre fut la dextérité du Roy, qui poussant vers l’artillerie de
Tilly, passa sur le ventre aux troupes qui en avaient la garde, et leur fit
abandonner tout leur attirail. Le canon ennemi étant entre les mains du Roy, il
lui fit changer de mire promptement, en perça les bataillons de Tilly, et les
couvrit de feu et d’éclats. On n’y vit voler en l’air que bras et jambes,
partout que de sang et de cadavres. Surtout les Crabbates (Croates) se sentant
bourrés et charpentés de tous côtés lâchèrent le pied, n’étant pas accoutumés à
une si rude mêlée, et se renversèrent sur leurs compagnons, donnant l’épouvante
et le branle à ceux qui étaient encore en état de soutenir, hormis quelque peu
d’escadrons qui se résolurent de mourir, et de disputer leur poste, et leur vie
jusqu’au bout, plutôt que de tourner le dos à l’ennemi. C’est pourquoi le carnage
y fut grand, et la victoire sanglante.
Le
combat dura cinq bonnes heures, dès le midi jusqu’à l’entrée de la nuit,
favorable à ceux qui ne pensaient qu’à la retraite. L’artillerie suédoise fut
tellement échauffée pendant le combat à force de tirer, qu’on ne la pouvait
plus charger, la poudre prenant feu incontinent ; tellement que le Roy de
Suède, qui avait donné ordre à tout, et montré en cette bataille, aussi bien qu’ailleurs,
un courage, une présence d’esprit, et une conduite du tout admirable, fit
avancer ses pièces de cuir de nouvelle invention, s’en servit très-utilement,
perça le plus épais des troupes ralliées, et de la cavalerie ennemie ; de
sorte qu’elle quitta finalement la partie, et fit jour partout.
Le
Roy voyant l’ennemi rompu, et dans la confusion, envoya à la queue des fuyards
quelques troupes de ses régiments de réserve qui étaient frais, et n’avaient
point combattu pour poursuivre sa pointe. Les plus tardifs à la fuite furent
galopés, et beaucoup de ceux qui étaient soigneux de sauver leur butin aussi
bien que leurs vies, eurent les jarrets coupés, et laissèrent aux Suédois leurs
dépouilles. L’Electeur de Saxe aussi fit sonner le tocsin par tout le pays,
pour arrêter ou assommer les Impérialistes.
En quoi il fut fidèlement obéi par ses paysans, et il ne fallait pas
beaucoup de mandements pour leur en donner l’envie. Ce qui a augmenté de
beaucoup le nombre de morts : tellement que non seulement le champ de
bataille en a été jonché, mais tous les chemins à douze lieues à la ronde en
ont été couverts.
Le
combat fini, le Roy fit ses dévotions sur le champ de bataille pour une
victoire si signalée, y amena l’Electeur de Saxe, lui demanda, Comme sa besogne lui agréait, protestant
qu’il survivrait sa pointe vigoureusement, et persécuterait ce vieux corporal
jusqu’au bout du monde.
Le
Roy aussi fit ferme cette nuit sur le champ de bataille : mais le
lendemain qui fut le 8 septembre, il se rendit devant Leipzig, gourmandé par
une garnison de 3 000 hommes, et la somma de rendre la place."
Le Soldat Suédois : Histoire de ce qui s'est passé en Allemagne depuis l'entrée du Roy de Suède en 1630, jusques après sa mort. 1633.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire