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« La tactique militaire est semblable à l’eau ; car l’eau, obéissant à son cours naturel, descend des lieux élevés et se précipite vers le bas. De même, dans la guerre, le procédé permettant d’éviter ce qui est fort et d’attaquer ce qui est faible. L’eau modèle son cours d’après le terrain sur lequel elle coule ; le soldat construit sa victoire en fonction de l’ennemi qui se trouve devant lui ». Cette belle formulation de Sun Tzu mérite illustration.
En remontant les siècles, on trouve les meilleurs exemples de ce principe chez les peuples nomades qui déferlèrent sur les mondes sédentaires. C'est ce que firent les Huns à la fin du IVe et durant la première moitié du Ve siècle ou les Mongols au début du XIIIe siècle. Les premiers, tels des torrents, envahirent l'Occident et l'Inde après avoir été arrétés aux frontières de la Chine. Les seconds soumettront le Moyen-Orient, la Russie et la Chine.
Parmi les innombrables exemples que l'histoire nous ait donné, il en existe un, peu connu, plus près de nous. C'est un des plus grands généraux français qui en est à l'acteur principal : Henri de la Tour d'Auvergne, vicomte de Turenne. La campagne d’Alsace de 1674-75, face à Montecuccoli, est considérée comme le chef d’oeuvre de Turenne. Pourtant, une trentaine d’années plus tôt, sa campagne de 1646 sur le Rhin est tout aussi magistrale. Napoléon lui-même qualifiait sa marche le long du Rhin, sur le Danube et le Lech, « pleine d’audace et de sagesse ». Et il estimait que « les manœuvres pour déposter l’archiduc de son camp entre Memmingen et Landsberg sont pleine d’audace, de sagesse et de génie ; elles sont fécondes en grands résultats. Les militaires les doivent étudier. »
Nous sommes dans les dernières années de cette guerre que l'histoire appellera « Guerre de Trente ans ». Au début de l’année 1646, les négociations à Munster et à Osnabrück sont délicates : Français et Suédois, alliés depuis l'année 1635, ne se font pas confiance. Mazarin cherche à éviter l’abaissement de la Maison de Bavière, « dont la chute aurait mis les Suédois en état de se passer des troupes et des subsides de la France », mais aussi pour prévenir la ruine de la religion catholique dans l’Empire. Son objectif est donc de séparer la Bavière de son allié impérial (l'empire des Habsbourg). La France a néanmoins besoin de la Suède pour atteindre cet objectif et mettre fin à la guerre.
Sur le terrain, Turenne est le seul à pouvoir s’entendre avec les Suédois : le général Wrangel, immobilisé en Hesse par les Impériaux, l’appelle à l’aide. Mais le duc de Bavière, par ses manigances, réussit à obtenir de Mazarin que Turenne ne franchisse pas le Rhin. Les Impériaux et les Bavarois en profitent pour placer leurs forces entre Français et Suédois.
Ci-dessus : le maréchal Turenne.
Il en faut plus pour décourager le Vicomte : il écrit au Cardinal et, « sans attendre la réponse, il se hâte d’exécuter ce qu’il avait médité ». Laissant une partie de son infanterie à Mayence, il passe la Moselle au-dessus de Coblenz, et marche vers le Nord dans le but de passer le Rhin en Hollande. Après un premier refus de la garnison de Vesel, il finit par obtenir un accord lui permettant de traverser le Rhin, le 15 juillet. Puis il prévient Wrangel de son arrivée, traverse les comtés de la Marck et de Lippe, la Westphalie et atteint la Hesse le 10 août, où il fait sa jonction avec le Suédois. « Cette jonction tant désirée se fit avec l’appareil convenable & les marques d’honneur dues aux armes de France ; les Suédois se mirent en bataille, firent deux salves, et voulurent que le vicomte de Turenne donnât l’ordre. »
Apprenant l’arrivée des Français, les Impériaux et les Bavarois, qui n’ont jusque-là osé attaquer les Suédois, n’ont d’autre choix que de se retirer. L’armée franco-suédoise compte maintenant 7 000 fantassins, 10 000 cavaliers et 60 pièces d’artillerie contre 10 000 fantassins, 14 000 cavaliers et 50 pièces d’artillerie pour les Impériaux, selon Ramsay, le biographe de Turenne. « Cette supériorité n’empêcha pas le Vicomte de marcher à eux, et d’avancer jusqu’à la rivière du Mein, près de Fridberg ». L’Archiduc Leopold, qui commande les forces impériales et bavaroises, préfère se retrancher. Qu’importe, « Turenne ne voulait que le passage » ! Il se dirige vers Francfort et récupère le reste de son infanterie laissée à Mayence. Puis, conjointement avec les Suédois de Wrangel, ils passent le Mein, suivent cette rivière, prenant Selingenstadt et Afchassembourg au passage. Le duc de Bavière prend peur, fait détruire plusieurs ponts sur le Danube et se plaint amèrement à l’Empereur de l’inaction de l’Archiduc Leopold. « Au grand étonnement de toute l’Europe, les armées de France et de Suède entrèrent dans la Franconie et dans la Souabe, et passèrent le Danube à Donawert et à Lauingen », après avoir pris quelques villes. Le 22 septembre, les alliés traversent le Lech. Pendant que les Suédois vont assiéger Rain, Turenne va sommer Augsbourg de se rendre. Mais Wrangel, prétextant des difficultés, rappelle le Français pour l’aider à réduire Rain, le détournant d’Augsbourg. Le Suédois, convaincu des droits de son pays sur cette ville, ne veut pas qu’elle soit prise par le Français. « Turenne connut alors la vraie raison pour laquelle Wrangel l’avait appelé, et la faute que lui-même avait faite en abandonnant Augsbourg. Mais, comme l'écrit Ramsay, il n’était plus temps de la réparer ». L’Empereur, qui craint maintenant la défection des Bavarois, ordonne à l’Archiduc Leopold de se porter au secours de la ville. Celui-ci quitte alors Fulda, entre la Hesse et la Franconie, et arrive sous Augsbourg, « à la tête d’une armée fort supérieure à celle des alliés », les forçant à se retirer vers Lauingen. Nous sommes début novembre. Le plan de l’Archiduc, qui a dressé son camp entre Memmingen et Landsberg, est d’attendre que les Alliés manquent de fourrages pour ensuite les attaquer et les rejeter en Franconie. Turenne et Wrangel, ayant « pénétré ses vues, prirent le parti d’aller à lui ». Ils trouvent le camp de l’Archiduc puissamment fortifié, mais il en faut plus pour les décourager : les généraux alliés font mine de vouloir attaquer puis, laissant « un grand front de 2000 chevaux qui couvrait la marche du reste de l’armée », foncent vers le Lech qu’ils traversent sur un pont qui n’a pas été détruit, et prennent Landsberg au nez et à la barbe de l’Archiduc. Or Landsberg renferme les magasins impériaux, soit six semaines de provisions ! Les Impériaux, privés de vivres, se voient contraints de repasser le Lech et, se séparant des Bavarois, repartent hiverner dans les pays héréditaires. Les conséquences de cette manoeuvre sont incalculables : le duc de Bavière, « aigri contre Leopold », est maintenant « résolu à abandonner le parti de l’Empereur…» et le 14 mars 1647 le duc de Bavière signe un protocole de paix.
Cette campagne militaire de Turenne est brillante parce qu'elle permit à la France d'atteindre ses objectifs sans qu'aucune bataille ne soit livrée. Turenne, comme l'eau qui obéit à son cours naturel, descendant des lieux élevés et se précipitant vers le bas, commence par contourner les forces ennemis qui lui barrent le passage, en remontant vers le nord (les Pays-Bas) alors que son objectif est au sud, puis redescend vers la Bavière, prenant plusieurs places au passage. Il termine cette superbe campagne en fixant l'ennemi grâce à un rideau de cavalerie et en prenant, au nez et à la barbe de l'ennemi, ses magasins de provisions !
Ci-dessus : Trompette du régiment de Turenne, selon K.A. Wilke.
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