La bataille de Ravenne selon Giucciardini :
Here is the account of the battle of Ravenne according to Giucciardini (in french) :
« Gaston s’avança à San-Giorgio dans le Bolonais, où il reçut 3000 hommes de pied gascons, 1000 aventuriers et 1000 Picards, infanterie d’élite et fort estimée en France. Ainsi son armée était composée de 5000 lansquenets, 5000 hommes de pied gascons et 8000 en partie italiens et en partie français, et de 1600 lances, en comptant les 200 gentilshommes dont nous avons parlé. Cette armée devait être jointe par le duc de Ferrare avec 100 hommes d’armes, 200 chevau-légers et une grande quantité d’excellente artillerie ; Gaston avait été obligé de laisser la sienne à final à cause des mauvais chemins. (…)
Gaston marcha aux ennemis, brûlant d’envie de les combattre, tant pour obéir aux ordres du roi qui l’en pressait sans cesse, que pour exercer son courage et contenter son amour pour la gloire, passion qui s’était beaucoup accrue par ses heureux succès ; mais cette ardeur ne le rendit pas téméraire, et il ne s’approcha du camp des confédérés qu’avec beaucoup de précaution ; son dessein était ou de les attirer dans un terrain où il pût combattre sans désavantage, ou de les forcer à en venir aux mains en leur coupant les vivres.
Mais les ennemis étaient bien éloignés d’engager une action décisive. leur armée, depuis que les troupes du duc d’Urbin s’étaient retirés à l’occasion de certaine brouillerie, ne consistait qu’en 1400 gendarmes, 1000 chevau-légers, 7000 hommes d’infanterie espagnole, et 3000 italiens de nouvelle milice ; c’est pourquoi, voyant les Français si supérieurs par leur nombre et par la bonté de leur cavalerie, ils n’avaient garde de hasarder une bataille dans un terrain où l’avantage fût égal. Ils voulaient au moins attendre l’arrivée des 6000 Suisses que les Cantons leur avaient accordés, et dont la solde, à laquelle le pape et les Vénitiens devaient contribuer, se négociait en ce moment à Venise (…).
Gaston (…) y demeura quatre jours en attendant de Ferrare 12 canons et 12 autres pièces plus petites. (…)
Les Espagnols envoient envoient à Ravenne Marc-Antoine Colonna avec sa compagnie de 60 hommes d’armes, Pierre de Castro avec 100 chevau-légers, Salazar et Parades avec 600 fantassins espagnols.
Ensuite Gaston s’approcha de Ravenne, et le lendemain il campa auprès des murs, entre les deux rivières au milieu desquelles cette ville était située. ces deux rivières, dont l’une est le Ronco (…). L’armée française était entre ces deux rivières, ayant en tête la porte Adriana, qui est presque contiguë au rivage de Montone.
Gaston fit aussitôt dresser deux batteries, l’une contre la tour Roncona, qui est entre la porte Adriana et le Ronco, et l’autre au-delà du Montone, sur lequel il fit jeter un pont pour faire passer une partie de son armée ; il pressa les canonniers avec beaucoup de vivacité, dans la résolution de donner l’assaut avant l’arrivée des ennemis qu’il savait être en marche. (…)
Voulant les piquer d’émulation, il forma trois bataillons séparés d’Allemands, d’Italiens et de Français, et il choisit dans chaque compagnie de gendarmerie 10 hommes d’élite auxquels il fit prendre les armes dont ils se servent à cheval et il les mit à la tête de l’infanterie. (…)
Mais les alliés ne sentirent pas leur avantage ; ils craignaient d’être forcés à combattre en rase campagne dans leur marche, et jugeant que l’approche seule de l’armée mettrait Ravenne en sûreté, parce que Gaston n’oserait y donner l’assaut en leur présence, ils s'arrêtèrent à Mulinaccio, à trois mille de Ravenne, et ils employèrent le reste du jour et la nuit suivante à creuser à la tête de leur camp un fossé aussi large et aussi profond que le temps put le leur permettre.
Les Français de leur côté délibérèrent de ce qu’ils feraient, et les sentiments furent partagés dans le conseil. (…) Dans cette incertitude, Gaston préféra attaquer les ennemis dès la pointe du jour comme le parti le plus glorieux et le plus sûr.
Suivant cette résolution on travailla à aplanir les bords du Ronco pendant la nuit ; à la pointe du jour (le 11 avril) les lansquenets traversèrent cette rivière sur un pont qu’on y avait jeté, mais presque tout le reste de l’infanterie de l’avant-garde et du corps de bataille la passa à gué. 400 lances de l’arrière-garde restèrent sur le bord de la rivière du côté de Ravenne, avec d’Alègre qui les commandait. Il avait ordre de joindre l’armée en cas de besoin et devait s’opposer aux sorties des assiégés. Pâris l’Escot fut chargé de garder avec 1000 fantassins l’autre pont que l’on avait fait sur le Montone.
Après le passage de la rivière, Gaston rangea son avant-garde sur le bord du Ronco qu’elle avait à sa droite. Ce premier corps où commandait le duc de Ferrare était composé de 700 lances et de l’infanterie allemande, placée à la gauche de cette cavalerie. À côté de l’avant-garde, qui avait l’artillerie devant elle, le général posta l’infanterie de la bataille, consistant en 8000 hommes, partie Gascons, partie Picards. Ensuite, en s’éloignant toujours de la rivière, il forma son arrière-garde (ultimo squadrone) de 5000 hommes de pied italiens conduits par Frédéric de Bozzole ; car quoiqu’en passant à Bologne on eut retiré toute la garnison, cette infanterie ne s’élevait qu’à ce nombre, beaucoup de soldats ayant déserté faute de paiement. Il mit à la gauche des Italiens tous les archers et les chevau-légers, dont le nombre montait à plus de 3000. Après cette ligne, qui s’arrondissait en croissant, il disposa plus près du bord de la rivière 600 lances derrière le corps de bataille, sous les ordres de la Palice et du cardinal de San-Severino, légat du concile ; ce légat, qui était d’une taille avantageuse et qui avait l’air martial, était armé de pied en cap, faisant plutôt office d’un capitaine que d’un cardinal et d’un légat. Gaston ne se réserva aucun poste particulier ; mais ayant choisi dans toute l’armée 30 des plus braves gentilshommes pour l’accompagner, il se réserva la liberté de se porter et de donner ses ordres partout. Il était facile de le reconnaître à ses armes éclatantes. Après avoir rangé son armée en bataille, il monta sur la chaussée de la rivière, d’où il anima ses soldats avec une éloquence peu ordinaire aux guerriers ; son visage riant, ses yeux pleins de feu et sa contenance noble et assurée ajoutaient encore à ses paroles. (…)
L’armée ne répondit à ce discours que par des cris de joie mêlés au son des trompettes et au bruit des tambours. On marcha d’abord au camp des ennemis qui n’était pas à deux milles de l’endroit où l’on avait passé la rivière. Ils s’étaient étendus le long du rivage à leur main gauche, ayant devant eux le fossé dont nous avons parlé, qui tournant à droite environnant tout leur camp, à l’exception d’un espace de quarante pieds qu’ils avaient laissé ouvert à la tête des retranchements afin de donner une libre sortie à la cavalerie.
À la première nouvelle que les Français commençaient à passer la rivière, les confédérés s’étaient mis en bataille dans l’ordre suivant : Fabrice Colonna, à la tête de l’avant-garde, composée de 800 gens d’armes et de 6000 hommes d’infanterie, s’étendait le long de la rivière, sa cavalerie ayant les lances françaises à l’opposé. Derrière l’avant-garde, toujours en côtoyant la rivière, venait le corps de bataille de 600 hommes d’armes, sous les ordres du vice-roi, secondé par le marquis della Palude. Ce fut là que le cardinal de Médicis, presque aveugle de naissance et recommandable par sa douceur, jugea à propos de se placer en habit de paix, bien différent en cela, comme en toute autre chose, du cardinal San-Severino ; cette cavalerie avait à sa droite un bataillon de 4000 fantassins. Enfin suivait l’arrière-garde, composée de 400 hommes d’armes et de 4000 hommes d’infanterie, sous les ordres de Carvajal, officier espagnol. Les chevau-légers (1000 ?) conduits par Ferdinand d’Avalos, marquis de Pescaire, encore jeune mais de grande espérance, furent mis à l’aile droite pour voler où le secours serait nécessaire. L’artillerie marchait devant les gens d’armes, et Pierre Navarro, qui, ayant pris avec lui 500 hommes de pied seulement, ne s’était choisi aucun poste particulier, avait placé à la tête de l’infanterie 30 chariots, semblable aux chars armés de faux en usage chez les anciens, et qu’il avait chargés de petites pièces de campagne et armés d’un long épieu pour mieux soutenir le choc des Français.
Les Espagnols ainsi rangés attendirent derrière le fossé qu’on vint les attaquer, prenant en cela un fort mauvais parti. Fabrice Colonna avait voulu charger les Français lorsqu’ils commencèrent à passer la rivière, parce que les alliés auraient eu, à n’avoir affaire qu’à une partie des ennemis, beaucoup plus d’avantage qu’ils ne pouvaient en retirer du petit fossé qui les séparait quand il faudrait soutenir l’attaque de toute l’armée ; mais l’avis de Pierre Navarro, l’oracle du vice-roi, prévalut, et rien ne s’opposa au passage des Français.
Leur armée s’étant approchée environ à 200 pas du fossé, et voyant les ennemis obstinés à demeurer dans leurs retranchements, elle fit halte pour ne pas donner aux alliés l’avantage qu’elle voulait avoir ; ainsi les deux armées restèrent en présence pendant plus de deux heures sans faire autre chose que de se canonner de part et d’autre. L’infanterie française fut fort maltraitée à cause de la disposition avantageuse que Navarro avait faite de l’artillerie. Pendant ce temps là, le duc de Ferrare, ayant fait conduire une partie du canon des Français avec beaucoup de diligence par derrière l’armée, le plaça à la pointe de leur aile gauche, à l’endroit où étaient les archers ; cette pointe, attendu que l’armée était disposée en croissant, débordait de beaucoup sur le flanc des ennemis. de là il se mit à faire un feu si terrible qu’il écrasait des rangs entiers d’Espagnols, et surtout leur cavalerie. Navarro fit retirer l’infanterie plus bas, à côté de la levée, et lui fit mettre ventre à terre. Fabrice criait de toute sa force et envoyait courriers sur courriers dire au vice-roi qu’il fallait sortir et marcher aux ennemis, plutôt que d’être mis en pièces par le canon ; mais Navarro, opiniâtre dans son sentiment, s’y opposa toujours, par une pernicieuse ambition. Il supposait que l’infanterie espagnole seule remporterait la victoire quand même tout le reste périrait, et sur ce principe il comptait que, plus l’armée serait maltraitée, plus il aurait de gloire à vaincre. Cependant le canon avait fait un si grand ravage parmi les gens d’armes et les chevau-légers qu’ils ne pouvaient plus tenir dans leur poste ; on voyait à tout moment tomber par terre hommes et chevaux, et voler des têtes et des bras ; l’horreur de ce spectacle était redoublé par des cris affreux.
Alors Fabrice s’écria : « Périrons-nous sans tirer l’épée par l’opiniâtreté et la malice d’un Maranne ? L’armée se verre t-elle mettre en pièce sans pouvoir venger sa perte sur un seul ennemi ∞ Où est donc le souvenir de nos victoires contre les Français ? Et l’honneur de l’Espagne et de l’Italie sera t-il sacrifié à un Navarro ? » À ces mots, sans attendre l’ordre du vice-roi, il sort du camp avec ses gens d’armes, et toute la cavalerie le suit. Navarro fut donc contraint de donner le signal à l’infanterie, qui, se relevant fièrement, engagea le combat avec l’infanterie allemande qui s’était avancée de son côté.
La mêlée étant devenue générale, il s’engagea l’une des plus cruelles batailles qu’on eût vue en Italie depuis longtemps ; car la journée du Taro n’avait été, à proprement parler, qu’un rude choc de lances ; les combats du royaume de Naples furent plutôt des coups de main que des batailles, et à la Ghiara-d’Adda (Agnadel) il n’y eut que la moindre partie de l’armée vénitienne qui combattit. Mais ici l’action fut générale ; elle se passa en rase campagne, sans nul embarras d’eaux ni de retranchements, et les deux armées s’acharnèrent opiniâtrement l’une contre l’autre pour vaincre ou pour mourir, animées par la gloire et par la haine nationale. Il y eut même un combat particulier entre deux capitaines, l’un allemand, nommé Jacques Empser, et l’autre espagnol, nommé Zamudio. Ces deux braves s’étant fait un défi à la tête de leurs escadrons, la victoire favorisa l’Espagnol, qui tua son ennemi.
La cavalerie de la ligue, inférieure par elle-même à celle des Français, avait d’ailleurs été fort maltraitée par le canon. Ainsi, après avoir fait des prodiges de valeur et se voyant prise en flanc par Yves d’Alègre à la tête des lances de réserve et des 1000 fantassins laissés au pont du Montone que la Palice avait fait avancer, elle se mit en fuite, dans l’impossibilité de résister plus longtemps, Fabrice Colonna ayant été pris. les chefs furent les premiers à lui donner l’exemple ; car le vice-roi et Carvajal, sans tenter de rétablir le combat avec leurs gens d’armes, s’enfuirent et furent suivis de presque toute l’arrière-garde. Antoine de Lève s’enfuit avec eux. Cet homme, alors confondu dans la foule, passant dans la suite par tous les grades militaires, devint un grand capitaine.
Les chevau-légers avaient déjà été taillés en pièces et le marquis de Pescaire (Pescaro), leur chef, fait prisonnier, tout couvert de blessures et de sang (le marquis de Pescaire et della Palude furent défaits et pris par Bayard et louis d’Ars). Le marquis della Palude, qui avait mené le corps de bataille au combat par un terrain plein de fossés et de ronces, ce qui l’avait mis en grand désordre, avait aussi été pris, et la terre était couverte d’hommes et de chevaux morts ou mourants.
L’infanterie espagnole, quoique abandonnée par la cavalerie, ne laissait pas de soutenir le combat avec beaucoup de valeur. Elle avait été mise en désordre par le premier choc des piques allemandes ; mais s’étant avancée sur eux à la longueur de l’épée, et plusieurs Espagnols, le poignard à la main, s’étant glissés à la faveur de leurs écus entre les jambes des Allemands, en firent un horrible carnage et pénétrèrent jusqu’au centre de leur bataillon.
D’un autre côté les fantassins gascons, s’étant saisis du chemin qui est entre la rivière et la levée, avaient attaqué l’infanterie italienne qui, quoique maltraitée d’abord par l’artillerie, commençait à se rétablir lorsque Yves d’Alègre fondit sur elle à la tête de son escadron. La fortune trahit en cette occasion la valeur de ce capitaine. Il vit tuer son fils, et ne pouvant survivre à la douleur, il s’élança dans le fort de la mêlée où, après avoir combattu en désespéré et jonché la terre d’ennemis, il périt lui-même. L’infanterie italienne, ne pouvant résister à tant de troupes, pliait lorsqu’une partie de l’infanterie espagnole accourut à son secours et la rétablit. Cependant les lansquenets, extrêmement pressés par les Espagnols, ne se défendaient qu’avec peine ; mais Gaston, ayant mis en fuite toute la cavalerie, vint les soutenir avec un nombreux escadron. Alors les Espagnols se retirèrent, mais sans fuir et en bon ordre, par le chemin qui est entre la rivière et la levée, en marchant au petit pas et fort serrés, ils repoussaient les français qui voulaient les entamer dans leur retraite, et s’éloignèrent ainsi peu à peu. À l’égard de Pïerre Navarro, qui était au désespoir et qui aimait mieux mourir que de se sauver, il ne voulut point quitter le champ de bataille, où il fut fait prisonnier.
Gaston, ne pouvant souffrir que ces Espagnols se retirassent en aussi bon ordre que s’ils eussent été vainqueurs, et croyant sa victoire imparfaite s’il ne les taillait en pièces, fondit avec impétuosité sur eux à la tête d’un escadron de cavalerie et chargea avec furie les derniers rangs ; mais ayant été enveloppé et renversé de son cheval, ou, comme d’autres le disent, son cheval ayant été tué sous lui, il fut abattu à coups de piques.
Ainsi périt Gaston de Foix, et si l’on doit souhaiter de mourir, comme on le croit, sa mort est une des plus heureuses après une si belle victoire. Il était fort jeune (23 ans), mais il s’était déjà couvert d’une gloire immortelle par tant de succès poussés avec un courage et une rapidité incroyable (il fut surnommé le Foudre d’Italie) dans l’espace d’environ trois mois. Lautrec (cousin germain de Gaston) fut trouvé demi-mort auprès de lui et blessé en vingt endroits ; mais ayant été transporté à Ferrare, il guérit de ses blessures.
La mort de Gaston fut cause du salut de l’infanterie espagnole. Tout le reste de l’armée des alliés fut dissipé et mis en déroute ; leurs bagages, leurs drapeaux et leur artillerie demeurèrent aux Français. le légat du pape fut fait prisonnier, et Frédéric de Bozzole, l’ayant tiré des mains des Albanais, le présenta au légat du concile. Fabrice Colonna, Pierre Navarro, les marquis della Pallude, de Bitonto et de Pescaire, et plusieurs autres seigneurs, barons et gentilshommes de marque, Espagnols ou du royaume de Naples, furent aussi faits prisonniers.
Il n’y a rien pour l’ordinaire de plus incertain que le nombre des morts dans les batailles, mais l’opinion la plus commune est qu’il y en eut au moins dix mille dans celle-ci, savoir un tiers du côté des Français et le reste de côté des confédérés. (…) »
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire