samedi 15 décembre 2012

Siège de Therouanne et déroute de Guinegatte, 1513


Et voici une troisième version de la bataille de Guinegatte, d'après l'Histoire de Pierre du Terrail, dit le Chevalier Bayard, Sans peur et sans reproche, de Guyard de Berville (1697-1770). Cet ouvrage est une version en français moderne du Loyal serviteur écrit par Jacques de Maille, qui était archer puis secrétaire de Bayard.

And here's a third version of the Battle of Guinegatte, according to the History of Pierre Terrail, said the Chevalier Bayard, written by Guyard of Berville (1697-1770). This book is a modern French version of The Loyal Servant written by Jacques de Maille, who was archer and then Secretary of Bayard.



« Après cette fâcheuse expédition d'Italie et l'armée étant de retour en France, le Roi ne tarda pas à avoir de quoi l'occuper. Henri VIII, roi d'Angleterre, à l'instigation du Pape et de Ferdinand, roi d'Aragon, et d'intelligence avec Maximilien l, empereur, fit une descente en Picardie, près de Calais, avec de puissantes forces. Louis envoya contre lui des forces proportionnées, sous les ordres de Louis de Halwin, seigneur de Piennes,  gouverneur de la province, et avec lui Bayard, et nombre d'autres bons capitaines. 
Les Anglais ne furent pas sitôt débarqués qu'ils allèrent droit mettre le siège devant Thérouenne, qui était une bonne place et bien fortifiée. Elle était défendue par deux vaillants hommes, le sénéchal de Rouergue François de Téligny, et Antoine de Créqui, seigneur de Pontdomi. Ils avaient à leurs ordres leurs compagnies d'hommes d'armes, un bon nombre d'Aventuriers, et un corps de Lansquenet commandés par leur capitaine Brandec. Il y en avait assez pour bien défendre la place, s'ils eussent eu des vivres et des munitions suffisamment ; mais, dit un historien contemporain, c'était presque toujours là le défaut qui faisait échouer les affaires.
L'armée Anglaise était commandée par le duc Suffolk, (Charles Brandon) et le capitaine Talbot. Pendant qu'ils canonnaient la place, le roi d'Angleterre débarqua et peu s'en fallut que tout en arrivant il ne fût fait prisonnier sur la route de Calais à Thérouenne. Il avait avec lui près de douze mille hommes de pied, parmi lesquels étaient quatre mille Lansquenets, et il n'avait pas un homme de cheval ; il fut rencontré par Bayard, qui commandait un détachement de douze cents hommes d'armes, tous bien délibérés de faire le coup ; mais ils n'avaient pas avec eux un homme de pied. Le prince Anglais, saisit de peur, mit pied à terre, et se fit environner par ses Lansquenets. Bayard voulait absolument attaquer avec ses douze cents hommes d'armes, et disait au seigneur de Piennes : Chargeons-les ; si nous les rompons, nous aurons leur Roi ; s'ils nous repoussent, nos chevaux nous en tireront sans grande perte. Piennes lui répondit : Faites-en ce que vous voudrez  mais ce sera sans mon consentement ; j'ai ordre du Roi de garder seulement son pays, et de ne rien hasarder. Ainsi il n'en fut autre chose, et Bayard et les siens eurent le dépit de voir passer le roi d'Angleterre et son escorte. Mais enfin notre héros ne put se contenir : il fondit avec ses gens sur la queue de la troupe, et lui fit si Lien doubler le pas, qu'elle abandonna une grosse pièce de canon nommée St. Jean, faisant partie de douze pièces pareilles et uniformes, portant chacune le nom d'un apôtre, et que, par cette raison, Henri qualifiait de ses douze apôtres. 
Ce Roi peu de jours après son arrivée à son camp, y fut joint par l'Empereur, qui lui amena quelques troupes du Hainaut et des Bourguignons, et son arrivée fut célébrée par des canonnades contre la ville. Le roi de France était venu jusqu'à Amiens, et mandait tous les jours à son général d'avitailler Thérouenne à quelque prix que ce fût ; ce qui était très-difficile, à cause du nombre de troupes qui l'investissaient. Cependant, pour obéir au Roi, on s'y détermina. Il fut résolu que toute la cavalerie irait donner une alarme au camp ennemi, et que par cette diversion on faciliterait ceux qui seraient chargé d'aller à l'autre bout de la ville jeter des lards dans les fossés ; d'où les assiégés les retireraient. Le jour venu, on tenta l'exécution ; mais l’ennemi instruit par les espions, plaça douze mille hommes de pied Anglais, quatre ou cinq mille Lansquenets, et dix pièces de canon, dans un poste favorable, pour que, sitôt que la cavalerie Française serait passée. pour aller donner l'alarme, ce corps de troupes sortit et lui coupât le chemin , et à l'endroit où il prévoyait que l'alarme serait donnée, il avait mis toute sa cavalerie en armes; avec les Bourguignons et ceux du Hainaut.
Du côté des Français il y avait ordre de ne point combattre mais seulement d'occuper les ennemis, pour seconder le 'transport des vivres dans la ville, et que si les ennemis se montraient en forces, on eût à se retirer en toute diligence. L'ordre fut assez bien exécuté, mais ne réussit pas ; car les Français ayant commencé l'escarmouche avec vivacité, et apercevant bientôt ce corps de troupes qui sortait de son embuscade pour les enclore, firent sonner la retraite, et chacun se mit au galop vers le camp ; les premiers vinrent se jeter sur le corps que conduisait Chabannes, et sur celui du duc de Longueville, et y mirent tout en désordre. Les poursuivants voyant cette espèce de déroute, poussèrent leur pointe, et firent tourner le dos à toute l'armée. Chabannes fit plus que le possible pour les rallier, mais en vain. Tourne, homme d'armes, s'écriait-il, ce n'est qu'une fausse alarme : on ne l'écoutait plus ; au contraire, tous fuyaient à bride abattue vers le camp où étaient les gens de pied et l'artillerie. C'est ce qui fit donner à cette aventure le nom de la journée des Eperons. Le duc de Longueville et Chabannes furent faits prisonniers avec quelques capitaines ; mais le dernier se sauva des mains de ceux qui l'avaient pris. 
Bayard, forcé de se retirer comme les autres,'et à son grand regret, faisait souvent volte-face avec une quinzaine d'hommes de sa compagnie, et repoussait les ennemis. Il trouva un petit pont sur un courant d'eau très-profond qui traversait la plaine, et ce pont était si étroit qu'il n'y pouvait passer que deux hommes de front. Mes amis, s'écria-t-il, arrêtons-nous ici, et gardons ce pont, je vous promets que d'une heure les ennemis ne le gagneront sur nous. Il envoya en toute diligence un homme de sa troupe vers Chabannes, lui donner avis du poste où il était, et qui arrêterait les ennemis assez de temps pour qu'il lui menât du secours ; et que dans le désordre où ils étaient,  ils seraient aisés à défaire. Les Bourguignons et ceux du Hainaut y furent bientôt, et, surpris de se voir arrêtés par si peu d'hommes, les chargèrent de toutes leurs forces ; mais Bayard fit des prodiges à son ordinaire, et aurait donné aux Français le temps de se rallier et de venir à lui lorsqu’il aperçut une troupe de deux cents chevaux qui gagnèrent le dessous du courant, et passèrent auprès d'un moulin. Alors se voyant enfermé devant et derrière, sans moyen d'échapper, il dit à ses camarades : Rendons-nous, voici de trop grandes forces et nous sommes trop peu ; ils sont au moins dix contre un, et toute notre prouesse ne nous servirait de rien ; car nos chevaux sont rendus de lassitude, nos gens sont trop loin pour nous secourir, et si ces Archers Anglais nous gagnent, ils nous mettront en pièces. Son avis fut suivi et chacun se rendit aux plus apparent de la  troupe ennemie. Bayard, que la présence d'esprit n'abandonnait jamais, aperçut un officier bien équipé, qui s'était retiré sous des arbres pour se reposer et se rafraîchir ; il s'était désarmé, et son épée était à côté de lui ; notre Chevalier courut à lui à pointe de cheval, et lui portant son épée à la gorge, lui dit : Rends-toi, homme d'armes, ou je te tue. Le cavalier, bien étonné d'être pris au dépourvu, n'avait pas envie de mourir là ; il se rendit en disant : Puisque je suis sans défense, je vous remets mon épée et ma personne ; mais apprenez-moi à qui je me suis rendu. Au capitaine Bayard répondit le Chevalier ; qui est lui-même votre prisonnier, et voilà mon épée. Le gentilhomme ne comprenait encore rien à l'aventure ; mais Bayard le mit au fait et fit sa condition que s'il arrivait que les Anglais voulussent le tuer, il lui rendit ses armes. L'officier s'y engagea et lui tint parole ; car ils eurent à se défendre contre des coureurs qui tuaient les prisonniers, quand ils ne trouvaient pas de butin à faire. Enfin ils arrivèrent au camp du roi d'Angleterre, où l'officier logea son prisonnier dans sa tente, et le traita en homme qui honorait la vertu même dans son ennemi. Cela dura quatre ou cinq jours, au bout desquels Bayard lui dit un matin, d'un air fort sérieux : Mon gentilhomme, je commence à m'ennuyer d'être ici à rien faire ; vous m'obligeriez beaucoup, si vous vouliez me faire conduire au camp du Roi mon maître. Comment ! dit le Bourguignon, hé, vous n'avez pas encore parlé de votre rançon ! Ni vous de la vôtre, reprit Bayard ; n'êtes-vous pas mou prisonnier ? N'ai-je pas été le maître de vous tuer ? Et si je me suis rendu à vous, ai-je eu d'autres raisons que de sauver ma vie ? J'ai votre parole, et vous me la tiendrez, sinon tôt ou tard je vous combattrai. Le gentilhomme, plus étonné qu'auparavant, ne savait que lui répondre ; il le connaissait trop bien par son nom pour vouloir avoir affaire à lui ; cependant il  se remit, et lui dit ; Mon capitaine, je ne veux que ce qui sera trouvé juste par ceux à qui nom nous en rapporterons. 
(…)
La ville de Thérouenne continuait d'être canonnée sans relâche, et ne pouvant être secourue d’hommes ni de vivres, fut enfin réduite à capituler. Les articles furent que tous les gens de guerre sortiraient vies et bagues sauves ; qu'il ne serait fait aucun tort aux habitants, et que la ville ne serait pas démolie. Le premier article fut aussi bien observé que les deux autres le furent mal ; car le roi d'Angleterre, après a voir fait abattre les murailles, fit mettre le feu en divers endroits.»



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