mercredi 6 juin 2012

Le soldat portugais des Indes - Portugueses soldiers of India



François Pyrard de Laval, un malouin, navigua de 1601 à 1611 vers les Indes orientales, les Maldives, les Moluques et le Brésil. Il nous a laissé un livre étonnant, publié en 1619. En voici un passage passionnant, qui présente l'armée portugaise à Goa. Le recrutement, la vie et l'apparence du soldat portugais des Indes y sont décrits avec un rare soucis du détail. Et on y découvre que la vie du soldat portugais des Indes était particulièrement agréable pour l'époque !

Pyrard François de Laval, a sailor from St. Malo, sailed from 1601 to 1611 to the East Indies, the Maldives, the Moluccas and Brazil. He left us an amazing book, published in 1619. Here is an exciting account, which presents the Portuguese army in Goa. Recruitment, life and appearance of the Portuguese soldier of India are described with a rare attention to detail. And we discover that the life of the soldier Portuguese India was especially nice for the time ! Sorry, but this long text is in french...


« Avant leur manière de guerre & soldats; il faut savoir que les Portugais ont eu guerre continuelle avec les Malabares qui sont les pirates de la mer des Indes, puis contre d'autres Roys & peuples Indiens, comme ceux d'Arabie, les Roys de Sumatra, Java, Ior, qui est en la terre ferme de Malaca, & autres des îles de la Sonde, & de la Côte & terre ferme de toutes les Indes. Mais maintenant depuis que les Anglais, Hollandais & autres étrangers ont pris la route de la navigation des Indes, cela leur a apporté une nouvelle guerre sur les bras, qui les a mis fort au bas, & les a pensé ruiner; Si bien que cela les a contraints de renforcer leurs armées navales. Car toute leur guerre est par mer, & non par terre, où ils ne tiennent rien, bien que quelquefois ils ne laissent d’avoir guerre avec quelques Roys particuliers de terre ferme, qui rompent les paix & trêves accordées entr'eux : & lors ils font des armées de terre, & font venir leur secours de leurs villes & forteresses. Mais pour les armées de mer, ils en ont toujours affaire, & en font armer & équiper deux tous les ans, comme j'ai dit.
Donc pour la conservation de toute la côte des Indes depuis Goa jusque à Cambaye, & quelquefois jusque à Ormus d'un côté, & de l’autre jusque au Cap de Comorin, pour empêcher les courses des pirates Malabares, ils équipent deux armées à Goa, qu'ils appellent armade del Nort, celle qui va à Ormus, & l’autre armade del Sud, qui va à Comorin. Et sont Composées chacune de cinquante ou soixante Galiotes de guerre, sans conter celles de chetie ou de commerce, avec une ou deux grandes galères comme celles d'Espagne. Ces armées partent au mois d'Octobre, qui est le commencement de leur été qui dure six mois, plus ou moins, & c'est le temps que courent les corsaires Malabares. Ce sont captifs & forçats qui rament en leurs galères, & usent du même ordre que par deçà. Les Galiotes font de quinze à vingt bancs de chacun côté, & n'y a qu'un homme à chaque aviron, qui ne sont forçats ni captifs, ainsi Canarins & habitants de Goa, Bardes, Salsetes & Colombins qui sont les plus vils & mécaniques peuples, pris de gré à gré en payant. Ils les appellent Lascary, & leur patron Moncadon, la Galiote Navie, & celles des Malabares Pairaux.
Outre ces deux armées générales, il s'en fait d'autres qui vont à Malaca, à la Sonde, à Mozambique & autres lieux où il est besoin, & où ils ont dessein : Mais ces armées sont composées de vaisseaux ronds qui font comme des Galions, Hourques & Navires des Indes, avec quelque grande Galiote; & vont pour secourir & renforcer leurs places, comme l'île de Ceylan, Malaca, Mozambique, & autres lieux où ils ont guerre, & où ils font attaqués.
Toutes ces armées se font aux dépens du Roy d'Espagne. Il sort encore des Galiotes & Navires des autres ports & Havres des Portugais qui se viennent rendre & joindre à ces gros; & sont bien armés : car en courant la côte, elles vont ancrer & surgir en tous les ports qui sont de leurs amis & alliés, tant pour prendre avec eux ceux qui font en volonté de les suivre que ceux qui font commandés pour ce faire& même pour leur rafraîchissement, comme aussi pour le trafic d’autant qu'avec ces armées, va un grand nombre de Navires & Galiotes marchands qu'ils nomment Navies de chatie, à la différence des autres qu'ils appellent Navies d’Armade. Ces marchands attendent à trafiquer & commercer avec ces Armades pour crainte des Pirates qui les empêchent d'aller seuls. Et même la plupart des soldats qui ont de quoi, ne laissent de faire commerce en faisanr leurs voyages pour le service du Roy. Cela leur étant permis,voire même nécessaire pour le peu de butin & gages qu'ils ont. Quant aux navires de guerre, elles sont équipées aix frais du Roy, mais les navires Chaties, ce sont ceux à qui ils appartiennent qui les affrètent à leurs dépens, & toutefois ils ne laissent d'être sujets, & obéir en toutes choses au Général des armées qu’ils nomment Capitaine Major.
Es grandes Galères ill y peut deux & trois cents hommes de guerre, & en d'autres grandes Galiotes, qu'ils nomment Fregate, il y en peut cent, & és petites qui sont les navires, environ quarante ou cinquante. Il y en a encore de plus petites qu'ils nomment Manchones, où peut quinze ou vingt hommes. Quant aux navires ronds, leur nombre d'hommes est selon leur grandeur.
Quant à leur ordre & façon d'embarquer; Lorsqu'on veut faire un embarquement à Lisbonne pour les Indes, ils font une levée de soldats par tout le Portugal par les villes & parroises, comme l'on fait  ici des pionniers, & là on prend toutes sortes de gens de quelque qualité & condition qu'ils soient, pourvu qu’ils aient atteint l'âge de neuf à dix ans. Puis on les enrôle, & sont payés & gagés pour soldats. Que si on n'en peut trouver qui y veulent aller de volonté, on les prend par force,  & de tous âges, & sont tous enrôlés en la Caza da Indea Orientale, qui eft la chambre des Indes qui se tient d'ordinaire à Lisbonne, & donnent répondant jusque à ce qu'ils soient embarqués. On leur avance  tout l’argent de leur voyage, à cause que la plupart sont enfants de pauvres paysans, & ont besoin de s'habiller & armer; la paye est selon leur qualité. Quant à leur façon de compter, c'est par Raiso comme en Castille par Maravedis, qui est une certaine monnaie qui vaut un denier & demi de la nôtre, & disent tant de mille Raiso.
Entre ces soldats enrôlés, il y a des dignités & qualités plus honorables les unes que les autres, les uns par leur race & extraction, les autres par leur service & vertu, autres par la faveur. De sorte qu'ils sont gagés selon cela, les uns plus, les autres moins. On les paye là à Lisbonne pour toute la traversée jusqu’aux Indes, & non pas par mois, & n'ont que faire de faire aucunes provisions pour leur particulier, le Roy leur fournissant tout ce qu'ils ont besoin de vivres, rafraîchissement, & munitions de guerre. Ces titres & qualités leur font acquises en Portugal, & toutefois le Vice-Roy ne laisse d'en faire certain nombre de ceux qui méritent, ou qu'il veut favoriser és Indes. Celuy qui est noble de race, ils le nomment Fidalguo  simplement. Il y en a d'autres qu'ils appellent Fidalguo de la Casa del Rey nosso Senor ou Gentil-homme de la maison du Roy, qui sont les plus estrimés entre eux, & la plupart font États honorables. D'autres, Mosso Fidalguo, qui est à dire anoblis par le Roy ou grands Seigneurs par faveur. D'autres  Cavalleyro Fidalguo; nobles Chevaliers. Autres Mosso da Camera & do servicio qui sont Gentils-hommes servants. D'autres Escuderi Fidalguo, qui sont Gentils-hommes écuyers. Ceux qui n'ont ni titre, ni dignité, s'appellent purement & sitmplement soldado. Ils prisent plus ces dignités que quoi que ce soit, parce que cela leur sert à avoir des charges & commandements, avec ce qu'ils ont plus de gages. Outre ces titres ils en ont un autre qui est d'homme honrado, ou d'honneur, qu'ils veulent tous avoir parmi eux. Le plus que peut avoir un soldat, même des principaux, pour la traversée de Lilbonnc à Goa, c’est cinquante ou soixante croisades.
Quant ces soldats sont embarqués en des Caraques, ils sont départis par escouades ou compagnies, pour faire le quart ou la garde de la nuit à à rechange, & non point de jour.
Or encore que ces soldats enrôlés n’aient titres ni dignités, ils ne laissent pourtant de se faire honneur entre eux, & se dire tous Gentils-hommes, bien qu'ils soient de vile condition; & les nobles ne leur portent nulle envie pour cela, dautant que cela n'est connu qu’entre eux, & non aux Indiens ; & ne diminue en rien la noblesse des autres, dont on envoie tous les ans les roolles de Lisbonne au Vice-Roy de Goa ; ainsi ces titres qu'ils se donnent entre eux, n'est que four faire entendre aux Indiens qu’ils sont tous de bonne & illustre maison, n'y ayant aucune race vile & mécanique entre eux. Et pour ce ne veulent qu'aucun Portugais ou autre fasse chose vile & des-honnête, ni aille mendier sa vie, ainsi l'entretiennent plutôt au mieux qu'ils peuvent. De façon que le plus grand porte honneur au plus petit, & prirent infiniment ce mot de Portugais de Portugal, en disant homo blanco, ou homme blanc, & méprisent tous ces pauvres Indiens, jusqu’à les mettre sous les pieds. Si bien que ces Indiens étaient tous ébahis quand nous leur disions qu'ils étaient fils de crocheteurs, savetiers, porteurs d'eau & autres vils métiers.
Or selon ces titres, qualités & mérites, ils ont des récompenses, après avoir servi sept ans. Ces honneurs & titres que les soldats se donnent entre eux, ce n'est que depuis qu'ils ont passé le Cap de bonne Espérance, car lors ils quittent presque toutes leurs modes & coutumes, & jettent toutes leurs cuillères en la mer.
Quand ils font arrivés aux Indes en quelque lieu que ce soit, appartenant aux Portugais, ils sont libres d'aller où bon leur semble, sans être obligés à qui que ce soit, & mêmes on ne les peut contraindre d'aller à la guerre, si ce n'était qu'elle fut extraordinaire. Aussi ne sont-ils payés ni gagés. Ils vont seulement boire & manger au logis de ces quatre grands Seigneurs qui donnent à manger à tous les soldats en hiver, & peuvent aussi aller boire & manger en tous les Monastères en toute saison : car au logis desdits Seigneurs on ne donne à manger que l’hiver, lorsque les soldats sont en terre, & que les armées font rentrées. On aime mieux leur donner à manger que de l'argent : car étants adonnés au jeu, ils joueraient tout incontinent. Quant à l'argent qu'on leur avance lorsqu'ils sont pour s'embarquer, ils n'oseraient avoir failli d'en acheter tout ce qui leur est nécessaire pour le voyage, à peine de punition. Pour les deux armées tant du Nord que du Sud, on leur avance deux quartiers, qui se montent en tout trente six perdos. Et pour les autres armées qui vont plus loin, on leur en avance trois. Cela n'empêche pas que s’ils sont plus de temps en leur voyage ils ne soient payés : quand ils sont de retour, on leur donne un autre quartier. Et le Vice-Roy leur en fait donner aussi quelquefois, quand il veut gratifier les soldats.
Ils ne font jamais montre, ainsi savent le compte de leurs soldats par les roolles : Car ils ne veulent que les Indiens sachent leur  nombre, comme j'ai déjà dit ailleurs. Les autres habitants & soldats Chrétiens Indiens naturels là sont, non pas les Métis, qui sont comme Portugais.
Encore que la plus grande partie de ces soldats soient envoyés, partie de forces, partie volontaires, si sont-ils tous libres étant aux Indes, de demeurer ou retourner en Portugal, ayants leur congé & passe-port du Vice-Roy, ce qui s'obtient assez difficilement, si ce n’est par faveur, ou remontrant quelque cause légitime. Mais la cause qu'il en revient si peu, c'est que le Roy ne leur donne pas seulement de l'eau au retour, & leur faut pour le moins trois cens perdos pour revenir en Portugal.
Quand ils sont nouvellement arrivés aux Indes, on les nomme Raignolles c'est à dire gens du Royaume, & les anciens se moquent d'eux, iusque à ce qu'ils aient fait un ou deux voyages avec eux, & aient appris les coutumes & façons des Indes ; & ce nom leur demeure tant qu'il soit venu d'autres navires l'an d'après. Quand on les rencontre par la ville, & qu'on les reconnaît pour Raignolles, les petits enfants & garçons de boutique crient après eux. Les marchands Indiens sont bien aises de les voir, d’autant qu'ils sont plus aisés à tromper.
Si ces soldats de Portugal espèrent récompense, ou bienfaits du Roy, il faut qu’ils lui fassent service là sept ans, sans compter l'année de leur partement, & pour ce les Metis ou nés aux Indes, font service huit ans. Et n’est pas assez de demeurer là seulement, aussi faut s'embarquer, & aller en toutes les actions de guerre & embarquements qui se présentent, & en avoir bons certificats, qu'ils appellent Certidons, du Vice-Roy & des Capitaines, qui n'oublient pas de mettre en leur certificat tous les bons services rendus, afin qu'ils aient récompense selon cela. Car s'ils ne peuvent en montrer, ils n’en reçoivent point. S’ils veulent être récompensés, il faut qu'ils retournent en Portugal au bout dudit temps, sinon leur service est perdu ; & quelque fois faute de moyens plusieurs n'y peuvent aller, & perdent cela, car il faut y être en personne. Mais s’ils mourraient en chemin ou aux Indes, leurs femmes & enfants, ou autres héritiers proches, se peuvent servir desdits  certificats comme eux-mêmes eussent fait. Ceux qui reviennent avant ledit temps n’ont nulle récompense, non plus que ceux qui étants és Indes ne font nul service.
Il y a grand nombre de soldats sui sont envoyés és Indes comme en exil pour leurs méfaits, & n'oseraient retourner, si leur temps n’est expiré. Ils les envoient en Ceylan, Mozambique, Malaca, & autres places, pour la défense d’icelles,  & ont seulement leurs gages, sans espérer aucune récompense ; la plupart s'y marie, & y demeure toute leur vie.
Quant aux petits garçons qui sont embarqués & payés pour soldats à Lisbonne, quand ils sont arrivés aux Indes, ils ne le sont reçus pour tels, s'ils n'ont de la force suffisante pour porter toutes fortes d'armes, mais ils ne manquent de trouver aussi tôt condition ; car tous les Seigneurs, Capitaines, & Gentils-hommes les prennent pour Pages, encore qu'ils soient de basse condition : & ne font aucun vil service à leur maître & maîtresse, ne faisant autre chose que les suivre dehors, &  sont fort somptueusement habillés de livrée de leur maître. Tel en a après lui douze ou quinze, & ils ne hantent ni fréquentent avec les esclaves. Quand ils font grands & forts pour porter les armes, leur maître leur donne une pièce d'argent pour avoir des armes & habits,  & lors ils s'embarquent comme les autres, & leurs sept ans commencent alors qu'ils sortent hors de Page, & suivent les armes.
Ces soldats sont tous libres, & n’ont personne qui leur puisse commander que le Vice-Roy, sinon lors qu'ils font enrôlés, embarqués & reçu leurs gages pour aller à la guerre. Car lors les Capitaines & Généraux des armées leur commandent durant ledit voyage seulement. Tellement que ceux qui ne sont mariés & qui font profession de porter l'épée, se peuvent dire tous soldats. Car il n'y a que les gens d'église qui ne portent l’épée. Ce mot de soldat est donc un homme qui n'est point marié, & leur est défendu de porter manteaux pour les distinguer des gens mariés qui en portent. Ces mariés ne peuvent être contraints d'aller à la guerre : & quand ils y veulent aller, c'est un grand déshonneur pour eux à cause de leurs femmes qu'ils laissent. Car on porte là grand honneur à un homme marié, qu'ils appellent casado. C’est pourquoi les soldats ne désirent point de voir embarquer ces gens mariés avec eux, pour l'appréhension qu'ils ont de leur dire paroles déshonnêtes comme ils se disent entr'eux, sans s'en soucier, mais aussi sans offenser l'honneur. Mais un homme marié se trouverait grandement offensé de telles paroles. Toutefois la nécessité les contraint quelquefois d'y aller ; mais il leur est défendu d'aller sans manteau pour être reconnus.
Quant au nombre de ces soldats, tant Portugais que Metis, j'en ai vu dans Goa seulement plus de quatre ou cinq mil, sans les soldats Indiens qui sont sans nombre, & qui toutefois ne peuvent  s'égaler ni manger avec les Portugais, encore qu'ils qoient Chrétiens, & que les hommes & femmes se puissent marier & allier entre eux. Tellement que ces foldats, pour tenir les états, charges & honneurs, tant de la ville de Goa que des autres places des Portugais, il faut qu'ils soient mariés, ou bien soldats enrôlés & gagés du Roy.
L'ordre de leur embarquement pour la guerre est, que le Vice-Roy & son Conseil ordonnent un Général en chaque flotte ordinaire & extraordinaire, puis des Capitaines, & pour combien de vaisseaux, & fait délivrer argent audit Général & Capitaine pour tous les frais. L’on fait après battre le tambour, & crier par la ville, pour avertir tous ceux qui se voudront faire enrôler pour tel & tel endroit : & lors les Capitaines sont curieux de rechercher les honnêtes gens & meilleurs soldats, & leur font des gratifications & honneurs pour les attirer & pratiquer à eux, Car ces soldats n'étants  obligés à aucun, vont s'embarquer sous qui bon leur semble, & ne sont sous leur obéissance que durant le voyage, & sont payés de leurs  quartiers, qu’on leur avance.
Quant à ceux qui ont du commandement, c'est le Vice-Roy qui leur donne tout, & le plus souvent par faveur, & tels sont les mieux payés & récompensés, ayants plus de gages & de butin. Commesont ceux qui ont la charge de faire les victuailles, munitions & autres frais ; où ils font tous leur profit, chacun en son endroif, & selon le plus ou moins de faveur. C'est grand honneur & faveur d'être Général, & même d'être Capitaine d'un vaisseau, parce qu'il commande à force honnêtes soldats, qui en terre sont autant ou plus qu’eux. C'est le Viador de Fasienda ou Surintendant des finances qui paye les soldats. Mais pour les matelots, mariniers & autres gens, ce sont les Généraux  & Capitaines qui ont charge d'en faire la mise & dépénsz, & pour ce on leur en avance l'argent.
Au reste, l'argent que l’on avance aux soldats pour l'embarquement n'est que pour avoir des habits,  armes & autres commodités. Car pour le vivre, ils n'ont que faire de s'en soucier, étants fort bien nourris aux dépens du Roy dans le vaisseau, & ce selon les lieux. Car s'ils sont en mer, ils usent des yivres de l'ordinaire du navire, qui est riz avec beurre, sucre, lentilles & mangaus, qui est un fruit en forme d'olive, mais bien plus gros,  & en ont encore sortes, qu'ils font saler, & le plus souvent de biscuit, & ne boiuent que de l'eau ; ils mangent aussi d'un poisson salé nommé pesche cavalo. avec du riz. Mais quand ils sont à l'ancre en quelque port, comme ils sont le plus souvent, on leur donne de toutes sortes de vivres qui se recouvrent en ces lieux, aux dépens du Roy. Pour ceux qui descendent du vaisseau & veulent aller vivre en terre, c'est à leurs dépens, & tous ces soldats à la mer ont chacun leur plat, & mangent en particulier. Le Capitaine porte un grand respect & honneur à tous ses soldats, & sont bien en autre estime que par deçà. Car le titre de soldat est le plus honorable là que 1’on saurait avoir, & n'y a si riche, & de grande qualité, qui se trouvât des-honoré de donner sa fille en mariage à un  soldat.
Quand un soldat a une fois reçu les gages & quartier pour s'embarquer, si après il se veut cacher pour n'y aller point, si on le peut appréhender, il est puni corporellement, & mis en prison. Dans les vaisseaux ils font deux cuisines, à savoir celle du Capitaine & soldats, & celle des mariniers & matelots. En chacun vaisseau y a trois ou quatre Pages Portugais gagés,  & nourris comme les soldats, qui ne sont que pour servir le Capitaine, Lieutenant & soldats,  & les gens d'Eglise qui sont avec eux, soit jésuites ou d'autre Religion. Car il n’y a vaisseau où il n'y ait de ces gens d'Eglise. La plupart toutefois ont des esclaves & valets particuliers : car ces Pages ne sont que pour les servir, lors qu'ils prennent leur repas dans le navire. Il y a des soldats de grande apparence & qualité,  & toutefois sont tous comme nos soldats du régiment, à pied tous avec l’arquebuse, la pique, l'épieu, petits boucliers de la Chine, arcs & flèches. Ils usent fort peu de corselets, mais ils font grande estime de ces collets de buffle, & pourpoints d'œillets, qui font seulement pour les coups d'épée & de flèches tirées de loin. Ils usent aussi de bourguignottes & chapeaux de fer. Quand ils sont en terre, ils portent haut de chausses à la matelote, qui ont environ dix aulnes d'étoffe, & sont fort amples & larges par le bas, & leur vont jusque à terre ; avec cela ils ne portent point de bas de chausse, & est impossible qu'ils puissent courir avec telles chausses. Mais quand ils s'embarquent, ils en ont d'autre façon, qu’ils appellent à la Française, comme il a environ trente ans que l'on les portait en France. Car elles sont fort courtes & étroites. Ils ne portent point aussi de bas ni de souliers, car ils disent que les souliers les empêcheraient d'avoir le pied ferme fur le vaisseau, ou cordages, ou sur le bord. La nuit ils ont des tentes faites exprès de feuilles de Palmier pour se couvrir de la pluie. Et pour se coucher ont des nattes & matelas, avec tapis de Perse ou Cambaye qui sont moindres. Le matin ils les plient, empaquettent, & serrent. Dans les vaisseaux y a sii peu de place qu'à peine peut-on, étant couché, s'étendre tout de son long. »



 Ci-dessus : commerçants portugais en hauts de chausses longs.

2 commentaires:

  1. Bon, doit y avoir de quoi faire avec les conquistadores FOUNDRY ou EUREKA. Du coup, je vais garder mes balouches en tenue arabe...ça fera de bons adversaires ;o)

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  2. :) :)
    Bon, on se le stock pour 2040 ce projet là ?

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